Un feuilleton original de Claude Hayoz
6 août 1975. Désert de l’Arizona. Route départementale reliant Ignancio, bourgade perdue au milieu des cactus, à Caliabartas, ancien rêve de mafieux qui imaginait créer une concurrence à Las Vegas, dans les années soixante. On y avait édifié un énorme palace, un magnifique casino, un amphithéâtre à la romaine et c’est là, par une nuit obscure de 1968, que les choses s’étaient réglées entre gangs rivaux, à coups de munitions lourdes. La police avait classé l’affaire et laissé l’endroit aux vautours. Curieusement, pourtant, cette utopie n’était pas devenue une ville fantôme. Le gouvernement des Etats-Unis avait racheté les infrastructures pour une bouchée de pain et les avait transformées en maison de pension de luxe pour quelques éminences grises haut-placées. L’avantage était clair: dorer la pilule à des vieux messieurs qui en savaient beaucoup, trop parfois, mais perdus au milieu de nulle part. Qui s’en serait plaint? Chacun y trouvait son compte. Caliabartas était donc devenu, au fil du temps, un lieu très prisé par les journalistes friands d’anciens secrets d’alcôve. Mais pour accéder à cette oasis de renseignements, il fallait montrer patte blanche. Retraite, certes, dorée peut-être, mais étroitement surveillée par des agents de l’armée américaine solidement entraînés et qui avaient la réputation de tirer à vue sans sommation ni politesses d’usage. Au volant de sa Delta 88 noire, Elliott Grant guettait anxieusement un panneau qui lui indiquerait combien de miles il restait à parcourir pour arriver à ce fameux paradis perdu. Une demi-heure plus tôt, il avait entendu une détonation sourde à l’arrière de la voiture. Un caillou projeté violemment contre le châssis, vraisemblablement. Rien de grave, en apparence, si ce n’est que la jauge à essence avait commencé à baisser anormalement. Le tuyau d’arrivée du fuel, sous le coffre, avait été percé et goutte à goutte, le réservoir se vidait. Elliott ne se voyait pas sortir du cocon climatisé de sa limousine, par 50 degrés en plein été, en plein désert, d’autant plus qu’il transportait dans son coffre une cargaison de matériel de la plus haute importance. A côté de lui, à moitié endormie sur le siège du passager, son amie, Natasha Soden, ne semblait pas partager le même souci. Elliott était l’un des meilleurs reporters free-lance du pays. Il avait participé de près ou de loin à tous les scoops qui avaient secoué la grande nation depuis quinze ans, sans jamais apparaître en gros titres dans les journaux qui lui devaient pourtant des révélations fracassantes. C’était un limier, un besogneux, un tenace qui accumulait le documents, compilait les archives, rassemblait les preuves et vendait du tout cuit au plus offrant qui se chargeait ensuite d’y coller le nom d’une vedette du moment. Elliott, 45 ans, deux fois divorcé, trois enfants, n’avait pas besoin de célébrité. Au contraire. Son credo c’était la vérité. Et il avait compris depuis belle lurette que le vedettariat ne fait pas bon ménage avec l’investigation. Il n’avait rien du héros de bande dessinée à la Bob Morane ou à la James Bond. Physique passe-partout, léger embonpoint, gros fumeur, buveur “par dépit” comme il le disait lui-même, il vivait et respirait travail, l’oreille aux aguets, l’oeil fureteur et la mémoire colossale. Il avait rencontré Natasha Soden par hasard, 6 ans plus tôt, lors d’une enquête difficile sur des animaux maltraités et même massacrés lors de tournages de films. Elle était assistante de production et grâce à ses révélations sur les conditions déplorables de cascades de chevaux dans un western, le scandale avait éclaté. Un producteur influent l’avait avertie: “Natasha, ma chérie, tu ne travailleras jamais plus dans notre milieu.” Elliott l’avait alors aidée à décrocher divers jobs, il l’avait tuyautée sur quelques histoires croustillantes du cinéma, et, de fil en aiguille, il étaient devenus collègues, puis amis, puis tout le reste. Elliott Grant jeta un regard à sa compagne. Elle était blonde et ses traits évoquaient un mélange subtil entre Laura Dern et Helen Hunt, le meilleur des deux semblant avoir servi de plan à la construction de son visage et son corps. Son atout, c’était de passer partout avec son sourire à faire fondre les coeurs et son tempérament de fonceuse. Elle venait d’avoir 40 ans, avait été mariée à un acteur de série B puis avait jeté l’éponge, estimant que la vie nomade était une bien plus belle aventure qu’une maison à Beverly Hills avec piscine luxueuse, jacuzzi plein de bulles de champagne et réceptions mondaines. Après le scandale du Watergate, dont Elliott avait largement contribué à dénouer l’écheveau, ils s’étaient attaqués à un dossier méconnu mais terriblement explosif.
Cela faisait 3 ans qu’ils travaillaient dessus, assemblant un gigntesque puzzle fait de milliers et de milliers de pièces, sans pour autant lâcher l’actualité qui les faisait vivre. Ils avaient un appartement, à San Diego, en Californie, mais passaient le plus clair de leur temps dans leur Delta 88, traînant une gigantesque caravane Eagle aux flancs d’aluminium sur les routes chaotiques de l’Amérique sauvage. Et aujourd’hui, c’était un jour décisif, car ils avaient décroché un rendez-vous avec le personnage qui était au centre de leurs investigations récentes, celui qui détenait les quelques pièces encore manquantes de cette enquête du siècle, le Dr Wolfgang Breyter (un ancien dignitaire de l’armée allemande qi avait reconverti son nom de Breiter en Breyter).
La Delta fit un bond, le moteur toussa et s’arrêta.
- Et merde!
Elliott ouvrit la portière. Un souffle chaud lui coupa aussitôt la respiration. Il n’y avait strictement rien aux alentours. Juste une route poussiéreuse, le désert, la chaleur intolérable du soleil. Natasha n’avait pas bougé. Elliott prit un large stetson dans le coffre. La probabilité de rencontrer âme qui vive dans cette étendue désertique était aussi mince que de tomber sur une colonie de martiens en train de s’entraîner au baccara sur la lune... Tout était là. Dans deux immenses caisses en métal noir, soigneusement rangées dans les entrailles de la Delta 88. La preuve. Ils étaient à deux doigts de confronter des milliers de documents, de photos, de diagrammes, d’expertises à l’homme qui avait fait croire au monde entier que l’homme avait marché sur la lune. Elliott Grant et Natasha Soden disposaient de suffisamment de matériel pour montrer à la face de tous et de toutes que la NASA avait simulé toutes les missions Appollo, sans jamais laisser décoller le moindre astronaute vers notre satellite naturel. John Fitzgerald Kennedy avait eu un rêve, en 1962. Il avait prédit que l’un de ses concitoyens foulerait le sol d’une autre planète avant la fin de la décennie. Le contribuable avait payé de milliards pour croire cette histoire et cette fantastique aventure était devenue réalité. Les premiers pas de Neil Armstrong sur la lune avaient ému des millions et des millions d’êtres humains. La lune s’était révélée désertique, rocailleuse, vide, face à une terre bleue resplendissante. Cela avait été comme un message de Dieu lui-même: regardez, voici mon oeuvre, voici mon legs à vous, humains. Mais tout était faux. Un trucage, une illusion, un téléfilm passé aux yeux crédules d’un public qui n’avait pas eu suffisamment de naïveté pour se poser les bonnes questions... Et ils étaient là, en rade dans le désert, le réservoir à sec, sans eau et le soleil allait les dévorer tout crus. Icare brûlé par la vérité...
- Bon, qu’est-ce qu’on fait? On se laisse mourir, ou on cherche du secours?
Natasha s’exprimait avec son détachement habituel qui cachait simplement une grande perspicacité envers la réalité.
- Combien de miles jusqu’à Caliabartas, à ton avis?
- Quinze ou vingt...
Elliott réfléchit rapidement: il ne pouvait pas laisser la voiture avec toutes ces preuves. Il suffisait d’un pépin pour que tout leur travail soit réduit à néant. Les copies, il y en avait, mais là, il transportait les originaux. C’est alors qu’il entendit un vrombissement. Lointain, mais distinct. Scrutant l’horizon de toutes parts, ils aperçurent une minuscule silhouette sombre, entourée de poussière. Un motard. Elliott se pencha dans l’habitacle de la voiture qui était déjà aussi chaud qu’un four à toasts. Il prit un P38 dans la boîte à gants. La région n’était pas dangereuse, mais il y avait toujours un risque de rencontrer des Hell’s Angels en manque de bagarre et de sexe et il ne voulait pas que Natasha courre le moindre risque. La moto se rapprocha. Le conducteur l’avait décorée de multiples colifichets qui se contorsionnaient au vent comme des vers accrochés à un hameçon. Elliott reconnut bientôt qu’il s’agissait d’un Indien. Un vieux sage, la peau ratatinée par le soleil et les années, le regard voilé par l’eau de feu et le dos voûté par un génocide dont personne ne parlait jamais.
- Alors, les étrangers, vous faites un pique-nique?
Il s’exprimait d’une voix chevrotante mais agréable. Son visage semblait impassible et figé.
- Je m’appelle Elliott Grant. Et voici ma compagne Natasha Soden.
Elle le gratifia d’un sourire lumineux dont elle avait le secret.
- Le tuyau d’essence est crevé. Nous n’avons plus d’essence.
L’Indien se frotta pensivement le menton.
- Moi je m’appelle Joe. En réalité, je suis serpent-goguenard. Mais ça ne signifie plus grand chose, aujourd’hui!
Elliott ne put s’empêcher de sourire.
- Serpent-Goguenard? Un nom peu flatteur, non?
- Je file comme le serpent et je me ris de la vie. C’est un beau compliment, au contraire. Et où allez-vous?
Natasha, qui s'était rapprochée, lui répondit:
- Caliabartas... Nous avons quelqu’un qui nous y attend.
Joe eut un rire guttural.
- Journalistes, hein? Fouinards-de-Zone?
- Oui, si vous voulez.
- Je n’ai pas d’essence. Mais si la jolie demoiselle veut bien monter avec moi, nous allons chercher ce qu’il vous faut. D’accord?
Elliott émit un soupir contrit. Franchement, laisser Natasha avec cet Indien... Elle comprit le problème.
- D’accord, je viens avec vous. Mais je prends mes précautions, d’accord?
Et elle tendit la main pour que Elliott lui donne son arme.
- Je sais m’en servir.
Joe sourit. Il avait toutes ses dents, malgré son âge.
- Les Visages-Pâles... Beaucoup trop de choses vous seront toujours interdites, parce que vous êtes incurables... Montez, Mademoiselle. Je reviens, Monsieur.
Et il fit vrombir sa machine et s’éloigna à toute vitesse. Bientôt, il ne fut plus qu’un point à l’horizon. Elliott s’assit tant bien que mal à l’ombre de la voiture. La tôle surchauffée craquait. Des insectes s’agglutinaient sur sa peau moite. Assis à même le sol, il voyait le dessous de la voiture, étrangement réfléchi, comme par effet de mirage sur la chaussée brûlante. Un détail frappa son regard. Il s’approcha de la carrosserie. Elle avait un trou. Pas un trou de caillou. Pas un éclat de peinture. Un impact de balle. Elliott mit qulques secondes à comprendre, mais son corps réagit avant son esprit car il sentit sa nuque se glacer: le choc, tout à l’heure, ce n’était pas un caillou mais un tir de petit calibre bien ajusté, au bon endroit. Ils étaient en panne et cette panne avait été voulue. Et l’Indien? Les minutes s’écoulèrent lentement. Elliott Grant savait que Natasha était solide et capable de se défendre. Mais dans le contexte de ce qu’il transportait dans son coffre, la situation était tout de même alarmante. Une demi-heure plus tard, une imposante Cadillac Séville blanche aux vitres teintées se garait en face de la Delta 88. Elliott était tellement déshydraté qu’il n’arrivait presque plus à souffler. Un homme, impeccablement vêtu d’un complet Armani bleu-marine descendit de la limousine. Il avait l’allure d’un petit Al Capone.
- Mr Grant? Tino Baluzzi. C’est Monsieur Breyter qui m’envoie. A votre secours, on dirait...
Il avait une voix doucereuse et s’exprimait avec un fort accent italien.
- Merci, mais j’attends ma compagne. Elle est allée chercher de quoi dépanner la voiture.
- Ah oui, con il signor Joe. C’est un ami. Il travaille pour nous. Un vieux grigou qui aime les jolies filles. Je crois que c’est inutile de l’attendre. M. Breyter veut vous voir maintenant. Va bene?
Elliott se redressa. Il s’approcha de Tino. Il le dominait d’une bonne tête.
- Natasha, Joe, ils sont où?
Tino ne cilla pas.
- A Caliabartas. Vous les retrouverez là-bas. Mais M. Breyter veut vous voir avant. Comprende?
Elliott avait compris, en effet.
- J’ai du matériel dans ma voiture. je le laisse là, j’y mets le feu tout de suite ou M. Breyter souhaite quand même y jeter un coup d’oeil?
Tino hocha tristement de la tête. Il fit signe à Elliott de monter dans sa voiture. Le journaliste savait que ce genre de gangster à la noix n’avait pas besoin de montrer un pistolet pour savoir l’utiliser à la perfection. Tino prit un paquet carré le coffre de la Cadillac. Il le posa sur le siège du conducteur de la Delta 88. Et sans plus attendre, il fit demi-tour sur la route et pesa à fond sur l’accélérateur, projetant Elliott dans le moelleux de son siège. Il y eut une déflagration suivie d’une explosion blanche et vive qui claqua comme un énorme feu d’artifice. La Delta 88 venait d’exploser, avec tout son contenu...
Il commençait à faire moins chaud et le soleil descendait à l’horizon, en allongeant les ombres du désert, leur conférant une atmosphère d’une autre planète. Natasha Soden émergea peu à peu d’un sommeil lourd et profond. Elle était allongée, sur une couchette rudimentaire, dans une caravane surchauffée par les rayons de la journée. Elle avait la vue trouble et un affreux bourdonnement dans les oreilles. Elle se souvenait vaguement avoir fait un trajet sur une moto, accompagnée d’un indien sympathique qui lui avait même acheté un jerrycan pour mettre de l’essence. Puis la sensation de tomber dans le néant. Manifestement, elle avait été droguée. Elle tenta de se lever, mais le poids de son corps lui paraissait totalement disproportionné. Elle demeura couchée, tentant de reprendre son souffle et de surmonter la peur qui l’envahissait. Elle tâtonna d’une main fébrile son jean: l’arme qu’elle avait emportée avait disparu. Dehors, on entendait des cris d’enfants et des bruits de poules qui faisaient un curieux vacarme. Il faisait lourd. La porte de la caravane s’ouvrit. L’indien, “Serpent-Goguenard” entra lestement. Il empestait l’alcool.
- Alors, le petite dame, vous êtes à nouveau parmi nous?
Natasha le distinguait à peine. Elle parvint à articuler:
- Où suis-je, que s’est-il passé?
L’indien éclata de rire, une sorte de ricanement grinçant.
- Le patron a demandé de vous amener ici. J’ai exécuté les ordres.
- Et mon compagnon?
- A Caliabartas. Il avait rendez-vous, non?
Natasha parvient à se mettre assise.
- Que me voulez-vous?
- Rien. Monsieur de Breyter ne voulait pas de problèmes. Il vous a confié à ma garde, le temps d’éclaircir quelques points avec votre copain journaliste. Vous serez libre de partir dès qu’il m’en donnera l’autorisation.
Natasha commençait à comprendre: ils étaient tombés dans une embuscade.
- Où suis-je?
L’indien s’humecta les lèvres. Il ouvrit un petit frigidaire et en sortit deux bières. Il jeta une canette à Natasha qui l’attrapa au vol.
- Dans notre camp. Quinze kilomètres à l’ouest de la ville.
Natasha décapsula la canette et but à grandes gorgées. Le liquide froid de la bière se répandit dans son corps comme un bienfait de la nature. Elle retrouvait peu à peu ses forces.
- Vous savez que je vous dénoncerai à la police? C’est un enlèvement et vous serez punis, vous et vos semblables.
L’indien grinça à nouveau de son rire guttural.
- Comme vous y allez! Je suis sûr que vous n’en ferez rien. Après tout, nous vous avons bien traitée.
- Je veux rejoindre mon compagnon. Tout de suite!
Serpent-goguenard haussa les épaules et ressortit en verrouillant la porte. Natasha retomba sur le lit précaire. Elle se sentait affreusement lasse et inquiète.
Au même instant, Elliott, accompagné de Tino, arrivait au sommet de la tour qui abritait le quartier général de Breyter. Il vivait dans une suite en attique de l’ancien hôtel le plus huppé de la ville, le Grand Casino de Caliabartas. Le trajet s’était déroulé à bord de la Cadillac climatisée, sans qu’aucune parole ne fut échangée. Elliott était dépité par les événements. Non seulement on avait anéanti ses documentas, mais sa compagne était aux mains de ce Joe, quelque part. Tino le fit entrer dans un vaste hall richement décoré de bois et de fleurs. Un homme se tenait là, comme tapi dans l’ombre du soir qui s’avançait.
- Monsieur Grant, je présume?
sa voix était grave et parfaitement modulée. On sentait un homme avisé, calme et sûr de lui.
- Je suis Grant, effectivement. M. Breyter?
- Lui-même. Bienvenue dans ma modeste retraite. Je suis désolé d’avoir dû organiser votre réception de cette façon mais je suis sûr que vous finirez par me comprendre.
- Vous avez détruit ma voiture, vous nous avez fait tirer dessus et vous avez enlevé mon amie. Je vous comprendrai quand vous serez en prison, Monsieur Breyter. D’ailleurs ne croyez pas que la destruction de mes documents affectent ce que je vais livrer à mon lectorat. J’en sais beaucoup sur vos manigances et je ne priverai pas de les divulguer.
- Voulez-vous un rafraîchissement? La colère donne soif...
L’assurance de Breyter mit Elliott mal à l’aise. Il le suivit dans une gigantesque pièce qui servait visiblement de salon et de bureau. Une table était surchargée de feuilles et de papiers et sur un guéridon, on voyait une maquette de la fusée Apollo.
- Scotch, bière?
- Une bière. Et des explications.
Wolfgang von Breyter ouvrit une armoire-frigo et en sortit deux verres et des bières fraîches. Il prenait son temps. C’était un petit homme chauve, avec des lunettes imposantes. Son visage était parcheminé et donnait l’impression d’avoir été parsemé de ridules.
- Lisez-vous la Bible, Monsieur Grant?
- Cela m’arrive rarement. Je suis plutôt du genre actuel...
- Vous avez grand tort, car la Bible enseigne une chose fondamentale: les hommes réagissent curieusement lorsqu’ils sont confrontés à ce qu’ils ne connaissent et ne comprennent pas. tenez. Vous êtes journaliste. Qu’auriez-vous dit d’un homme qui faisait des miracles et ressuscitait les morts? Vous auriez enquêté et découvert que c’était un charlatan. Tout simplement parce que vous n’aviez pas les yeux pour réellement saisir la dimension miraculeuse de cet homme qui se prétendait fils de Dieu.
Elliott prit le verre que lui tendait le savant.
- Qu’est-ce que vous voulez me faire comprendre?
- Que la réalité est parfois trop forte, Monsieur Grant, et que si nous ne sommes pas prêts, nous réagissons mal.
- Je ne comprends pas.
- Alors je vais vous raconter. Et vous serez incrédule. Mais je vous aurai averti.
- Je vous écoute.
Von Breyter avala une large lampée de bière. Puis il offrit un siège à son visiteur. Tino s’était discrètement éclipsé. Il s’assit dans un large fauteuil en cuir, chercha une cigarette dans un étui en argent et l’alluma avec cérémonial. Puis il commença:
- John Kennedy avait promis aux américains, en 1962, que l’homme mettrait les pieds sur la lune dans moins d’une décennie. Pour tout le monde, nous y compris, c’était un rêve fantastique qui allait se réaliser. Mais il y avait un problème majeur: les soviétiques. Ils étaient en avance. Si nous voulions être les premiers, nous devions au bas mot rattraper cinq années. Et c’est sacrément long, en termes de science et d’astronautique. Kennedy a eu alors une idée géniale: il a proposé que les américains collaborent avec l’URSS. D’abord en secret, puis, le grand jour, aux yeux de la planète entière. Finie la guerre froide. Pas de politique dans l’espace. Un trait visionnaire qui lui a sans doute coûté la vie. Du moins en partie.
Elliott écoutait. Breyter avait quelque chose d’à la fois fascinant et inquiétant. Il poursuivit:
- Donc, en secret, un accord fut passé avec nos collègues de l’est. Une base commune serait érigée et nous bénéficierions de leur savoir. En contrepartie, nous nous engagions à fournir une logistique qu’ils n’avaient pas, notamment en matière d’ordinateurs. Le programme a fait un bond en avant gigantesque et nous étions prêts en 1968. Vous le saviez?
Elliott se râcla la gorge.
- Non, je l’ignorais. Pour moi, l’URSS était derrière. Leur technologie n’était pas aussi avancée que la nôtre.
- C’est exactement ce que nous avons dû faire croire. Après ce qui s’est passé...
Von Breyter se leva et chercha, sur son bureau plein de papiers, un étui à cigarettes en argent massif.
- Le médecin me l’interdit mais que voulez-vous qui m’arrive?
Il tira une large bouffée et revint s’asseoir.
- Donc en 1968, nous étions prêts. A enterrer la guerre froide et à conquérir la lune. Imaginez ce que cela aurait signifié: une collaboration entre les américains et les russes et une arrivée commune sur notre satellite? Quel plus bel hommage à l’entente entre deux peuples? Bien sûr, il y avait des réticences mais normalement tout devait rentrer dans l’ordre une fois les images ramenées de la lune. Nous avons formé un équipage de trois astronautes: John Allen, Irwin Dazen et Nicolaï Dobleski. Deux américains, un soviétique.
- Mais pourquoi n’avoir pas annoncé cette aventure au reste du monde?
- Parce que en cas d’échec, le but recherché pouvait se retourner dramatiquement contre nous. Qui aurait porté la responsabilité, à votre avis? Non, nous voulions aller là-haut et en ramener des images qui couperaient le souffle au monde entier. La mission a du reste été une totale réussite, mais nous n’avons rien pu dévoiler.
Elliott en était venu à oublier ce qui s’était passé sur la route. Le récit de Von Breyter le passionnait.
- Comment avez-vous fait?
- Une fusée Soyouz est partie de Baïkonour, dans le plus grand secret, le 20 juillet 1968, soit grosso modo une année avant le départ officiel de Cap Canaveral à bord d’Apollo. La technologie était la même. L’alunissage était prévu dans le fameuse mer du silence mais un léger pépin de calculateur électronique a déporté le module des trois astronautes. Ils se sont donc posés plus à l’est, près d’une crête montagneuse. Et c’est là que tout s’est compliqué.
- Comment? Une panne?
- Non. Mais ce qu’ils ont découvert ne pouvait pas être rendu public.
- Et qu’était-ce?
- Que croyez-vous, personnellement? Après tout, vous avez enquêté sur le sujet.
- J’ai enquêté sur l’alunissage de juillet 1969 et j’ai découvert que ce n’était qu’une supercherie. Mais je ne savais pas qu’une première équipe était montée en 1968 sur la lune!
- Je vais vous montrer une photographie qui vous éclairera...
A nouveau, il se leva pesamment et fouilla dans ses affaires éparpillées. Il prit une vielle photographie de grand format, en noir-blanc et la tendit à Grant. On aurait dit une vue du site de Petra en Jordanie, prise en contre-jour. Un immense portique de temple s’élevait contre le flanc d’une montagne, ses colonnes sculptées dans la roche et un immense escalier menant vers une ouverture qui devait être colossale. Grant avala péniblement sa salive.
- Vous voulez dire que les astronautes ont découvert des traces d’une civilisation?
Von Breyter se mit à ricaner. Il alluma une nouvelle cigarette et s’assit, se penchant vers Elliott:
- Une civilisation et des traces de vie. De l’eau et la preuve que la lune avait été habitée. Des cadavres fossilisés d’extra-terrestres. Tout ce que l’être humain se pose comme questions à propos de la vie ailleurs que sur terre.
- Mais pourquoi l’avoir caché? Car je comprends maintenant que cela a été caché...
- Il le fallait. L’humanité n’est pas prête à affronter ce type de réalité.
- Une trace de civilisation... Quel type de civilisation?
- Je vous ai demandé si vous lisiez la Bible. Tout y est consigné, si vous savez la lire avec les bons repères.
- Lesquels?
- Lorsque Lot reçoit l’ordre de quitter la ville de Sodome et Gomorre, il est escorté par deux anges lumineux. Et sa femme qui regarde la destruction de la ville est statufiée en sel. L’arche d’alliance contient tous les éléments nécessaires à un émetteur puissant. Ezéchiel voyage à travers l’espace, accompagné par un ange. Je pourrais multiplier les exemples. Personne ne s’est jamais posé la vraie question de l’espace, celle de la distance. On évalue toujours les potentiels de vie sur Mars et au-delà des galaxies. Mais comment d’autres êtres vivants maîtriseraient-ils les colossales distances entre les planètes? En réalité, nous avons toujours cherché beaucoup trop loin, alors que la réponse se trouvait sous nos yeux. De nombreux auteurs de science-fiction ne s’y sont du reste pas trompés et dépeignent la lune comme terre d’asile d’une civilisation perdue. C’est le cas.
Il y eut un silence pesant. Elliott Grant voulait en savoir davantage:
- Qui sont ces êtres? Sont-ils encore en vie?
- La lune était une planète jumelle de la terre. Elle avait une atmosphère et de l’eau. De l’eau souterraine, car à la surface, la masse cinq fois plus petite de la lune la faisait s’évaporer immédiatement. Mais on pouvait y respirer. Les sélénites étaient plus petits. Ils avaient des yeux moins sensibles et une ouïe plus fine. Vous avez certainement vu l’un d’eux, dans l’affaire de la soucoupe volante de Roswell.
- Un habitant de la lune?
- Un survivant. Il y a eu un terrible cataclysme, lorsqu’un météorite a frappé la lune. Pour une raison que nous ignorons, l’atmosphère a disparu. Les habitants ont alors imaginé un moyen de venir sur terre. C’était il y a très longtemps. Mais notre pesanteur les empêche de vivre. Ils n’ont pas la musculature pour résister à cinq fois leur poids. Ils se sont donc terrés dans les souterrains de leur planète et vivent depuis en voisins inconnus.
- Mais ils ont une technologie pour venir chez nous?
- Oui. Mais ils ne peuvent pas vivre sur terre.
- Monsieur von Breyter, ce que vous me dites là est extraordinaire! Pourquoi l’avoir caché?
- Dans un premier temps, on trouve cela extraordinaire, en effet. Nous avons eu la même réaction. Mais ensuite on se sent gagné par la peur et l’incompréhension. Et puis il y a les risques qu’une telle découverte entraîne. Des velléités de conquête, d’exploitation. Et enfin... Cette population est porteuse d’une maladie que nous ne savons pas soigner. Les trois astronautes ont été contaminés par un terrible virus qui liquéfie l’intérieur du corps et provoque des hémorragies létales. Vous avez peut-être entendu parler de cette maladie qui sévit en Afrique. Ebola. Ce n'est pas son origine. Ce sont nos propres singes de laboratoire qui l’ont portée là-bas. C’est la maladie qui décime le peuple humain lorsqu’il entre en contact avec les sélénites.
- Et eux-mêmes ne sont pas infectés?
- Ils ont un tissu organique moins sensible. Ils consomment moins d’oxygène. C’est l’équivalent d’une grosse grippe, sans doute.
- Mais je ne comprends pas que cette découverte sensationnelle ait été cachée?
- Il le fallait. Nous ne sommes pas prêts. Si on nous entendait, peu de gens nous croiraient! Et c’est exactement ce que les instances politiques de l’URSS et des Etats-Unis ont d’abord pensé. Nous avons donc élaboré un programme spatial différent.
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