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Le pouvoir des lâches

La question

Lorsque l’on se promène dans une ville, on ne manque jamais d’admirer l’effort consenti par les autorités pour embellir les rues et les doter de raffinements techniques, comme, par exemple, des cartes électroniques qui renseignent le touriste perdu et lui indiquent par quel chemin passer. L’installation massive, dans plusieurs grandes agglomérations, d’un système sophistiqué aux arrêts de bus qui annoncent, minute par minute, les prochaines arrivées des véhicules qui desservent le réseau fait partie de ce souci d’améliorer le confort du voyageur qui dispose d’outils sobres et modernes pour s’informer rapidement et sûrement. Au détour de conversations, cependant, on entend souvent le même commentaire, à savoir qu’il s’agit là de cibles idéales pour des actes de vandalisme qui créent le chaos là où on a voulu de l’ordre et la tristesse là où on a cherché la joie...

 

La réponse du psy

Détruire et détériorer sous le couvert de l’anonymat, de la gratuité, voilà qui incite à réfléchir sur ce qu’il convient d’appeler le pouvoir des lâches. De nombreux psycho-sociologues se sont penchés sur ce phénomène qui va du simple graffiti anodin au dégât massif et total. Leurs réflexions et leurs recherches ont permis de mieux cerner ce qui motive un groupe ou un individu à s’en prendre ainsi aux “biens” publics, sans en retirer le moindre bénéfice. Car, en définitive, à quoi sert de démolir un abri de bus ou de maculer un mur s’il n’y a aucun avantage à le faire ? Dérouter, faire peur pour tenter de se valoriser et prouver que l’on existe dans une société de plus en plus anonyme et gagnée par une certaine misère affective, voilà l’une des causes principales qui expliquent cette rage de “tout casser”, en laissant des traces - des blessures - plus ou moins profondes dans les endroits publics. Lorsque la police intercepte un “vandale” sur le fait, on remarque que la plupart du temps il n’y a pas de mobile précis, si ce n’est un malaise provoqué par un très fort sentiment d’être marginal, de ne pas comprendre ces règles sociales auxquelles tout le monde se conforme sagement, sans broncher, sans poser de questions. L’endommagement aveugle du bien d’autrui constitue un moyen de crier sa révolte, de passer son agressivité sur ces objets, précisément, qui sont là, à disposition de tout ce monde qui transite apparemment comme un troupeau sage et rangé. Chaque société possède un certain nombre de règles destinées à faciliter la cohabitation, à maintenir un certain ordre et à garantir un minimum de sécurité. Si l’on outrepasse ces règles, on provoque la peur et l’insécurité et c’est ce qui donne l’illusion d’un pouvoir sur l’anonymat. De plus, un forfait inutile fait souvent plus de bruit et induit davantage de colère, de frustration et d’attention qu’un méfait dont on perçoit nettement la logique. Sortir de la “norme” en adoptant un comportement marginal, c’est devenir quelqu’un. Celui que l’on craint gagne une sorte de respect. A défaut de se montrer au grand jour avec tous les inconvénients que cela suppose (arrestation, tribunal, condamnation, prison), on casse en cachette et on en retire une gloire éphémère...
C. Lévy-Leboyer, dans un livre paru en 1984 (Vandalism, Behavior and Motivations, New-York : Elsevier Science Publ.), démontre avec une grande pertinence les éléments qui sous-tendent, la plupart du temps, ensemble ou séparément, les motivations d’un individu à jouer les vandales :

- Impossibilité d’être reconnu par la “société” et statut marginal dû à la pauvreté, au manque d’éducation et à la difficulté de s’intégrer au niveau socio-professionnel.
- Appartenance à un groupe qui rejette les valeurs traditionnelles de la société moderne.
- Besoin de se valoriser et d’avoir une place de choix au sein de ce groupe.
- Ressentiment contre l’autorité, représentée par la police et la justice (les forces de “l’ordre”).
- Envie de passer pour un héros qui, comme Robin des Bois, provoque ceux qui détiennent le pouvoir.
- Provocation des “bourgeois” et de ceux qui ont réussi à se faire une petite place au soleil.
- Influence de substances “toxiques” : alcool, médicaments, drogues...
- Désir de faire peur, de passer pour un hors-la-loi, sans en assumer les conséquences.
- Difficultés à communiquer, à exprimer ses frustrations.
- Influence des autres “casseurs” qui poussent à l’action.