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Dépression contagieuse

La question

Vous parlez souvent d’ambiances “détestables” dans certaines entreprises. Chez nous, le notre supérieur rend le climat tellement malsain que plusieurs collaborateurs ont dû être hospitalisés suite à de graves dépressions. J’ai voulu lancer un signal d’alarme à mon syndicat mais on m’a fait remarquer qu’un lien de cause à effet était difficile à établir. Qu’en pensez-vous?

 

La réponse du psy

Grave problème, effectivement: en cas de malaise collectif, les nerfs de certaines personnes vont craquer dans le fracas assourdissant d’une tragédie triste et fatale mais il n’est guère possible de démontrer clairement que le (ou la) supérieur(e) en porte en grande partie la lourde responsabilité. En effet, on fera toujours remarquer à juste titre que la vie ne se restreint pas au seul cadre de travail et qu’il y a toujours de bonnes et de nombreuses raisons “privées” pour traverser le plus noir des tunnels. On peut d’ailleurs faire la comparaison avec une grippe: qui vous dit que vous l’avez attrapée au bureau et que c’est justement votre patron qui était contagieux? Et puis il faut bien se rendre compte que ceux et celles qui trébuchent et se cassent le nez pour de bon vivent la plupart du temps dans un contexte général peu propice. Un moment donné, une simple goutte d’eau fera déborder le vase, mais comment savoir qui l’a versée?

Cependant, face au type de situation que vous décrivez, je dirais qu’il y tout de même des indices flagrants qui devraient mettre la puce à l’oreille d’observateurs externes: d’abord la récurrence. Imaginez un endroit où tout va bien. Si un employée (ou une employée) perd les pédales, on ne va pas s’affoler et lancer des accusations gratuites puisque par ailleurs les conditions de travail sont bonnes. Mais que dire lorsque c’est une hécatombe et que, à l’instar de ces fameux saloons malfamés qui jalonnaient le Far-West de l’époque, on remarque que ceux et celles qui sortent le font soit à la course, soit les pieds devant? Ensuite, j’imagine que ces “pétarades” ne se font pas sans bruit et qu’une rumeur insistante pointe sur de réels problèmes d’entente et d’harmonie. Qu’une seule personne se plaigne, tire mille sonnettes, fasse un boucan de tous les diables, je veux bien qu’on se dise que c’est un “cas” spécial et qu’on lui colle l’étiquette du caractériel de service. Mais que penser d’une épidémie de mécontents, d’une marée d’insatisfaits? Enfin, toute entreprise a une histoire, même courte. Il y a beaucoup à apprendre du passé: qu’il y ait quelques problèmes, c’est inévitable. Mais si leur concentration augmente de façon anormale et inexplicable, je me poserais de sérieuses questions...

Bien sûr, je l’ai déjà souligné maintes fois, la lutte est trop souvent inégale: comment “déboulonner” un chef qui écrase, domine et maltraite si l’on n’est pas soi-même solidement vissé et certain que le siège que l’on occupe ne deviendra pas soudain éjectable? Mais je crois que nous possédons tous une conscience de nos attitudes et comportements, bons et mauvais. Et lorsque nous nous regardons dans notre miroir, nous ne pouvons pas travestir le reflet qu’il nous renvoie: à l’instar du portrait de Dorian Gray qui, à mesure qu’il commettait ses exactions devenait de plus en plus hideux et cauchemardesque, les personnes qui, avec arrogance et mépris, passent leur temps à abuser de leur pouvoir, à broyer le présent et à compromettre l’avenir de ceux qui travaillent pour eux, ne sont très vraisemblablement pas dupes de leur méchanceté et portent probablement un sacré fardeau qui se résume en une simple question, directe et sans détour, partant de l’idée communément admise que la vie possède une utilité qui dépasse notre entendement: “A quelle sous-vermine vais-je bien pouvoir répondre de mes actes pour être félicité du sens que j’ai donné à mon destin?”