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Conte de Nô-Mi: le cadeau de l'empereur

La question

Il y a fort longtemps, dans une contrée éloignée, vivait et régnait un empereur bon et sage. Soucieux d’être proche de ses ouailles, il avait pris l’habitude, une fois par année, de troquer discrètement ses habits d’apparat et sa couronne, contre quelques fripes qui lui donnaient l’allure d’un vagabond de passage dans la région.

 

La réponse du psy

Allant de ville en ville, accompagné d’un homme de confiance vêtu comme lui, il demandait l’aumône et créchait chez l’habitant, discutant de tout et de rien pour mieux comprendre ce qui se passait et se tramait loin du trône. Parfois heureux d’entendre que tout allait bien, il était souvent peiné de voir que, malgré de bonnes récoltes, beaucoup d’estomacs criaient famine. Aussitôt, il promulguait une nouvelle loi ou augmentait les impôts des riches pour venir en aide à ceux qui n’avaient de quoi subvenir à leurs besoins, ce qui suscitait la colère et la jalousie des nantis qui, évidemment, n’aimaient pas cette politique... Aussi, un jour, ils ourdirent un complot et soudoyèrent l’homme de confiance. Le plan était simple: sous prétexte de se rendre de l’autre côté de la montagne, le garde emmena l’empereur loin et haut dans la rocaille et, alors qu’ils traversaient un endroit particulièrement dangereux il poussa son souverain qui chuta lourdement, se brisant une jambe au bas de la pente, où fleurissait un parterre de fleurs aussi blanches que la neige et poussaient des arbustes couverts de baies aussi rouges que sauvages.

Aucun secours n’était imaginable et, abandonné à son triste sort, celui qui avait été au sommet du pouvoir sentit que sa fin était proche. C’est alors qu’un miracle se produisit: un ermite qui, par hasard, vivait non loin de là dans une petite grotte et qui rentrait de sa cueillette de racines fortifiantes vint à son secours. Avec beaucoup de douceur, il soigna son membre lésé et aida l’accidenté à rejoindre sa modeste demeure. Plein de gratitude, l’empereur décida alors de révéler son identité et expliqua au vieil homme ce qui était arrivé. Mais celui-ci ne fut nullement impressionné d’héberger une si auguste personne. Après tout, il n’était que peu concerné par les affaires du royaume. Quelques temps plus tard, la jambe fut guérie et l’empereur songea à rentrer. Mais en son absence, le pouvoir avait naturellement changé, les félons ayant pris la place de celui qu’ils croyaient mort. Le souverain trouva porte close et, comprenant qu’il n’y avait pour l’instant rien à faire, il revint à la montagne. Il n’était pas malheureux, loin de là, mais des rumeurs alarmantes sur les exactions de ses ennemis lui vinrent aux oreilles et le mirent en colère: les potentats exigeaient de chacun un magnifique cadeau, preuve d’allégeance, et exécutaient ceux qui ne leur offraient rien d’exceptionnel. Plein de courage, l’empereur se rendit alors en ville, une besace remplie de ces fruits aussi rouges que sauvages, apprêtés délicatement en fine confiserie...

Évidemment, personne ne le reconnut sous sa simple bure et, lorsqu’il arriva au palais, devant les conspirateurs, il fut accueilli avec mépris et condescendance: “Qui es-tu, étranger, pour oser offenser notre vue avec un si pâle cadeau?” Sans se démonter, l’empereur répondit: “Goûtez, messires, l’apparence bien modeste de mes fruits confits flattera vos papilles à l’instar de celles d’un dieu...” Flattés, les malhonnêtes qui s’étaient arrogés sa place avalèrent goulûment les friandises puis ordonnèrent: “Gardes, saisissez-vous de ce vagabond et pendez-le haut et court. Ses baies sont certes bien douces mais un peu de sucre ne saurait nous combler!” C’est alors qu’ils sentirent leurs estomacs se crisper sous l’effet d’une sourde douleur. Et le souverain de leur dire: “En effet, qu’est-ce qu’un fruit qui tombe en comparaison d’une vie qui s’envole? Courez, fuyez et rejoignez la montagne où vous m’aviez laissé. Vous y trouverez une plante aussi blanche que la neige, qui vous servira d’antidote aux baies que vous avez avalées.” Voyant qu’ils avaient perdu, les conspirateurs s’enfuirent aussitôt en trébuchant. Fébrilement, ils cherchèrent dans la rocaille cette fameuse plante, mais faibles sur leurs jambes, sur la pente ils tombèrent. A bout de forces, au fond du ravin, ils entendirent alors les pas d’un homme. C’était le vieil ermite. Il les salua au passage, et leur dit simplement: “Si c’est votre empereur que vous cherchez, ne désespérez point. Je l’ai bien soigné et, à l’heure qu’il est, il a certainement déjà retrouvé son trône...” Et sans s’attarder davantage, il poursuivit sa route.