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Blues de l'artiste

La question

L’expansion extraordinaire des médias a démultiplié l’engouement du public pour ces stars de l’ère cathodique dont le plus petit pas, le moindre état d’âme s’étale à la une de tous les magazines branchés. Invités d’émissions dites “sérieuses”, on les écoute, on leur demande leur avis et, à coups de clichés savamment enrobés d’un investissement personnel qui sonne faux, ces artistes que les projecteurs de l’actualité propulsent au rang de démiurges, de druides, refont le monde comme ils font leur maquillage : à gros traits, grossièrement soulignés...

 

La réponse du psy

Les adolescents et les jeunes, sans être forcément dupes de la comédie qu’on joue sous leurs yeux, envient ces vedettes new-age qui pratiquent l’ubiquité sur les chaînes de télévision, à la radio, dans les revues et dans les journaux. Ils espèrent, et c’est normal, d’atteindre du jour au lendemain cette réussite sociale qui remplit le compte en banque, gonfle l’ego et ouvre toutes les portes de ce pays que l’on appelle “Cocagne”. Après tout, n’est-il pas légitime de se voir facilement à la place de ces êtres très “communs” que le destin a favorisés ? La part de merveilleux qu’ils éveillent en nous est-elle si éloignée de la réalité ? L’idéal américain (“Si je veux, je peux et j’y arriverai”) est-il vraiment utopique (surtout en Europe et plus particulièrement dans un petit pays comme la Suisse) et le génie si peux répandu ? On ne compte plus les vocations de musiciens, d’acteurs de cinéma, de mannequins, de photographes ou de dessinateurs de BD. Face à l’impossible qui devient possible, le rêve prend une nouvelle dimension, celle de l’hypothétique mégasuccès, celle de l’envie secrète de “percer”. Lorsque l’on sait qu’en France, environ 90 % des acteurs et des artistes sont au chômage faute d’engagements et que la plupart d’entre eux vont de petits boulots en jobs temporaires afin de remplir leur assiette de soupe et de pain, le paysage enchanteur de papier-glacé et de couvertures de magazines apparaît sous un jour plus réaliste, particulièrement cruel et ironique. Pourtant, il est toujours difficile de freiner ces artistes-en-herbe, certains d’être investis d’un talent qui nécessairement les portera au sommet de l’échelle. Car où mettre la limite entre l’amateur éclairé qui se produit sur la scène locale de son village et l’amateur chanceux qui, pour une prestation similaire, ramassera un disque d’or ? Actuellement, la production d’un CD ou d’un dossier promotionnel est à la portée de pratiquement toutes les personnes qui souhaitent étendre leur renommée au-delà de leur cercle d’amis. Mais la promotion et la vente d’une oeuvre artistique obéissent à des règles extrêmement complexes où entrent en jeu la mode, la saturation du marché au moment de la sortie, l’attente du public, la connaissance qu’il a du produit, etc...
De nombreuses études ont mis en évidence qu’un succès fulgurant n’est jamais prévisible. Il n’y a pas de recette qui permette à un artiste de viser en plein centre de la cible. Certaines campagnes de publicité tournent carrément au désastre et achèvent un produit pourtant bien construit. L’exemple de grosses productions américaines (comme “Last action Hero, en 1993 ou “The Shadow” maintenant) qui coulent corps et biens fait toujours du bruit, sans qu’il soit facile de désigner le facteur qui a bloqué l’accès au succès.

Mais si une grosse entreprise a les reins suffisamment solides pour assumer un ou deux flops, il n’en va pas de même pour ceux et celles qui investissent toutes leurs économies dans des projets souvent d’autant plus fantaisistes qu’ils ne répondent, à la base, à aucune demande ou, pire, qu’ils vont à contre-courant d’une mode bien ancrée. On parle souvent de “nivellement par le bas” lorsqu’il s’agit de culture populaire. Mais c’est une considération bêtement mathématique : plus on ratisse large, moins on peut se permettre d’écarts par rapport au consensus général. Une oeuvre d’auteur est tellement particulière qu’elle ne peut séduire qu’une petite franche d’adeptes. En revanche, un produit de consommation possède des caractéristiques simples, faciles à “digérer” et susceptibles, partant, de plaire à tout le monde. C’est un peu comme si l’on compare un repas de gastronome avec un menu de fast-food : il y a fort à parier que le second sera nécessairement plus accessible (à défaut d’être digeste...) ! Malheureusement, au niveau “amateur” les échecs ne pardonnent pas.
La plupart des artistes qui ont plongé dans le vide à la suite d’un essai grand-public ne s’en relèvent pas et perdent toute motivation à poursuivre leur difficile ascension vers la gloire. C’est encore plus difficile pour celui - ou celle - qui a connu un instant fulgurant de reconnaissance (un passage à la télévision, par exemple, ou la sortie d’un disque plutôt bien accueilli) mais qui est retombé dans l’oubli : les ravages sont énormes. Le succès peut se payer très cher et il n’est pas rare qu’une vedette d’un jour sombre dans une dépression dont elle ressortira à jamais meurtrie et aigrie. Alors, chaque fois que notre admiration se cristallise sur une star des médias, n’oublions pas toutes ces personnalités de l’ombre qui, pour le même talent, se contenteront de miettes ou, plus simplement, disparaîtront anonymes de cette scène qui ne les a même pas vus naître...