La question
Notre ménage ne va pas très fort en ce moment. Mon amie pense qu’un bébé remettrait notre relation sur les rails. Je suis sceptique. Qu’en pensez-vous?
Le proverbe du sage Nô-Mi
Autant la pluie rendra fertile un jardin labouré, autant elle écorchera un terreau délaissé...
La réponse du psy
Pour de nombreux couples, dans notre société, la finalité même de leur relation c’est de créer une famille et donc de donner naissance à des enfants. Parfois apparaît, sous-jacente, cette idée que le bébé sera comparable à une clef-de-voûte, garantissant la stabilité de cet édifice construit sur deux pliliers, la mère et le père dont la volonté commune permet de “rester ensemble”. Et ce n’est de loin pas faux: pour le bien de l’enfant, de nombreux compromis deviennent possibles - même obligatoires - et la “rupture” se mue en situation d’urgence, à éviter à tout prix. Mais les statistiques sur le nombre sans cesse croissant de divorces (près de 4 mariages sur dix périclitent!) montrent que les petits garçons et les petites filles, même s’ils repoussent les limites du naufrage d’un ménage, ne peuvent en aucun cas servir de “garantie” contre les graves dissensions qui peuvent naître et grandir entre deux partenaires et conduire finalement devant les tribunaux avec avocats, témoins et âpres batailles pour déterminer qui emporte le salon, qui déménage et qui obtient la garde de ces charmantes têtes blondes. Donc je partage votre scepticisme: si votre navire prend l’eau et qu’il menace de sombrer corps et biens, je ne me lancerais ans aucun projet de longue haleine et de grande responsabilité. Or, donner la vie à un enfant n’est pas un acte banal comme acheter un jouet que l’on rangera dans une armoire le jour où on n’en a plus besoin. Les futurs parents ne se rendent pas toujours compte que l’enfant mettra beaucoup de temps à grandir et que ce n’est pas demain qu’il volera de ses propres ailes. Quinze à vingt ans, c’est du long-terme!
Mais l’alchimie complexe d’une relation ne saurait se contenter de ce type de considérations superficielles. Car c’est indéniable qu’un projet commun constitue souvent une source de motivation impressionnante. Vous vivez avec votre amie, partagez vos joies et vos peines mais si demain vous décidez brusquement de vous exiler au fin fond de la Sibérie, rien ne vous retiendra, hormis le regret de quitter quelqu’un que vous aimez. Par contre, dès qu’il y a un objectif qui implique profondément les deux piliers du couple au point de complètement chambouler leur vie, les liens se resserrent par la force des choses. Fonder une entreprise, faire des enfants, se consacrer à un idéal commun, autant de tournants radicaux qui présupposent que l’on s’engage complètement et que l’on prenne des décisions que l’on appelle “adultes”, c’est-à-dire très soigneusement réfléchies. Certaines personnes ont effectivement découvert un nouveau sens à leur vie en se lançant dans l’aventure. D’autres y ont perdu leurs illusions. Celles qui font naïvement croire que la solution aux problèmes est externe, qu’elle se présente à nous sous forme d’un kit prémonté à utiliser tel quel avec trois coups de tournevis et un peu d’huile de coude.
Vous dites que votre couple “bat de l’aile”. Allez-vous tenir le coup? Tout dépend de l’ampleur des tensions et des conflits que vous vivez et, surtout, de votre volonté réciproque de construire, envers et contre tout, malgré les écueils et les obstacles à franchir. Mais je n’envisagerais pas la venue d’un enfant comme bouée de sauvetage providentielle. N’oubliez pas qu’un bébé réclame des soins très importants et qu’il risque à son tour de mettre vos nerfs à rude épreuve. Il va plutôt agir comme une sorte d’amplificateur: si vous êtes prêt à mettre un maximum d’eau dans votre vin et décidez à deux de tout faire pour rester unis, l’enfant peut vous apporter un plus indéniable. Par contre, si vous n’agissez pas et attendez passivement qu’un miracle se produise, que vos difficultés fondent comme neige au soleil face au sourire irrésistible du chérubin, soyez sûr que vous ne tarderez pas à faire vos valises tant le nouveau-venu aura mis vos nerfs et votre relation chancelante à rude épreuve... Et puis n’oubliez pas que votre enfant risque alors d’être le premier à souffrir directement des retombées de la rupture, lui qui ne serait peut-être jamais né si vous et votre amie n’aviez pas compté sur lui pour venir vous sauver!